J’ai longtemps vu passer des photos de cette bouteille de MADININA 1895 sur les différents groupes Facebook de rhum, mais jamais ouverte, comme souvent sur ce genre de rareté du XIXème siècle.
J’avais alors opté pour une technique qui a fait ses preuves : être patient et attendre que l’occasion se présente.
Blague à part, la chance se provoque certes, mais il vaut mieux certaines fois savoir attendre plutôt que perdre son temps à trop chercher.
Il me fallut tout de même pas mal d’années pour finir par en trouver une ouverte et comme souvent, c’est au moment où je m’y attendais le moins que celle-ci apparue.
Alors que je fêtais mes 35 ans avec ma femme et ma fille en pleine période de confinement fin Avril dernier, CHANTAL COMTE posta sur son compte Instagram une trouvaille qu’elle avait faite en rangeant sa cave : une bouteille de ce fameux millésime !
Je lui écrivis pour la féliciter et lui donner quelques nouvelles depuis nos derniers échanges.
En effet, au delà de l’admiration que j’ai pour cette grande dame du rhum, j’ai beaucoup de plaisir à discuter avec elle sur des sujets divers et variés.
CREDIT PHOTO : CHANTAL COMTE
Voyant mon engouement pour cette bouteille, Chantal me proposa de me la faire déguster lors de notre prochaine entrevue.
J’acceptai bien entendu avec joie, mais difficile alors en plein confinement d’imaginer quand cela me serait possible de sortir ne serait ce que de mon département normand.
Le déconfinement arriva le 11 Mai, puis avec lui l’été et la possibilité d’enfin pouvoir circuler librement sur le territoire.
Nous pouvions alors enfin imaginer des vacances en famille et quoi de mieux pour cela que le Gard et ses département limitrophes chers à mon enfance !
Le temps de trouver une location et nos vacances étaient enfin planifiées.
Hasard ou destin, notre appartement se situait à quelques minutes en voiture de chez Chantal Comte.
Je la contactai alors afin de lui proposer de nous voir.
Très généreusement et malgré le fait de déjà recevoir une bonne partie de sa famille chez elle à cette période, Chantal nous proposa se voir autour d’un apéritif dînatoire.
CREDIT PHOTO : BACHUS ONE
Connaissant l’attrait de Chantal Comte pour le calvados et notamment ceux de la famille CAMUT (cf mon article dédié), je pris avec moi une bouteille du 25 ans (Réserve de Semainville) pour la lui offrir.
La soirée fut des plus agréables, autant les conversations avec les différents membres de la famille Comte que les différents plats typiques de la région qui nous étaient proposés : tapenade d’olives noires, rillettes de sardine, pimientos del piquillos fourrés à la brandade de morue, mouclade, fougasse nîmoise, fromages...
Ma plus grande chance fut de passer une très grande partie de la soirée assis à côté de Chantal ce qui me permit de discuter avec elle de nombreux sujets et notamment de rhum bien entendu.
Les dernières bouteilles de Tour De L’Or de La Mauny millésimées (2001 notamment) étant en passe d’être totalement épuisées, je senti l’envie chez Chantal de retourner en Martinique afin de sourcer de nouveaux rhums d’exception.
CREDIT PHOTO : INVALUABLE
Difficile de dire chez quelles distilleries Chantal sélectionnera ses prochaines cuvées, mais il est certain qu’il s’agira une fois encore de coups de cœur sincères et mûrement réfléchis.
En effet, Chantal Comte n’a pas spécialement besoin de sortir de nouveautés, ni d’un point de vu économique ni dans le but de continuer à exister dans le monde du rhum.
Sa réputation n’est clairement plus à faire, son intégrité morale et ses valeurs lui sont bien trop chères pour sortir une cuvée médiocre.
Rares sont les embouteilleurs indépendants qui ne subissent pas de grosses contraintes économiques.
Cela leur permet de ne produire que des cuvées exceptionnelles, ayant vieillies sous climat tropical, sans réduction hasardeuse ni rajout quelconque.
Il nous faudra alors être encore patient avant de découvrir ces prochains embouteillages, mais nul doute que cela en vaudra la peine.
Cette soirée se termina par la dégustation du sublime Bally 1970 et du fameux MADININA 1895.
D’une générosité sans limite, Chantal Comte nous offrit à ma femme et moi deux de ses superbes cigares équatoriens manufacturés à sa demande, se souvenant que je les avais adorés.
Il faudra également suivre de très près l’aventure « cacao » qui avance à grand pas et dont j’avais déjà parlé dans mon article concernant le CHANTAL COMTE SAINTE LUCE 1980.
Ce MADININA est donc un rhum agricole (pur vesou) issu de la distillerie martiniquaise Habitation Saint-Pierre du millésime 1895 ayant vieilli 7 ans sous bois (probablement en foudre), titrant aux alentours de 45% (embouteillé initialement à 55%) et ayant été embouteillé dans des bouteilles en verre soufflé d’un peu plus d’1 litre.
Pour connaître l’histoire de cette bouteille, il m’a fallu faire quelques recherches pour lesquelles je remercie notamment EXCELLENCE-RHUM.
Importé au printemps 1902, ce rhum fut mis en bouteille entre 1904 et 1906 à Bercy par M. FANTON & fils.
Les étiquettes, bien que conservées à part dans un casier, n'ont pas résisté aux ravages du temps, de l'humidité et des rongeurs.
L'étiquette actuelle est donc une reproduction exacte de l'habillage d'origine.
Le coffret quant à lui est en bois de hêtre ou de pin, la bouteille reposant sur un lit de mousse grise évoquant les cendres volcaniques qui ravagèrent Saint-Pierre en 1902.
Enfin, une archive reliée de 3 pages signées par François Fanton et datant des années 90 est livrée avec la bouteille et son coffret.
CREDIT PHOTO : ARTCURIAL
La famille Fanton, issue du monde vigneron des bords de Saône, proposait à ses clients parisien dès la 2ème moitié du XIXème siècle du vin en fût et en bouteilles.
À la même époque, son second fils François-Marius, voyageur aguerri, parcourait l’Europe et les Antilles françaises, notamment La Martinique (Madinina en créole).
Fin Avril 1902, François-Marius Fanton effectue un dernier chargement de rhums sur son bateau : un certain rhum « Madinina » de 1895 de l’Habitation Saint-Pierre.
À peine quelques jours plus tard, le 8 mai 1902, le volcan de la Montagne Pelée se réveille brutalement et explose, asphyxiant ainsi la ville de Saint-Pierre et ses 30000 habitants…
Par chance, François-Marius Fanton a pu échapper au pire et sauva sans le savoir le dernier rhum existant de la distillerie Habitation Saint-Pierre.
Une fois rentré à Paris, ces bouteilles furent enregistrées, puis conservées jusqu'en Juillet 1993 dans un caveau attenant aux chais de la maison Fanton à Bercy dans un local sur terre battue, sans lumière, avec une forte hygrométrie.
La robe est ambrée avec des reflets orangés tirant sur le vert.
Au nez c’est fin et gourmand, sur des notes de vanille, de caramel brûlé, mais également de fruits secs (abricot, raisin), de noix et de cap de cigare.
En bouche, la puissance est conservée avec une texture grasse associée à des notes de réglisse, de cuir, de noyau de nectarine, de cannelle et de pruneau comme sur un vieux porto.
Longueur correcte.
Une bouteille d’un autre temps issue d’une distillerie détruite par le volcan de la Montagne Pelée et dont le souvenir perdure grâce à ce rhum : ⭐️⭐️⭐️
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